Title: The Rise and Controversies of Geopolitics: An Interview with Florian Louis
La géopolitique est-elle seulement descriptive ?
Originellement, la démarche géopolitique vise à expliquer la conduite des États par leur géographie. Elle est donc plutôt descriptive en ce qu’elle part d’une action politique donnée et cherche à en déceler les causes profondes, qu’elle postule être de nature géographique : on expliquera par exemple le choix du Brexit par la nature insulaire du Royaume-Uni, l’expansionnisme russe en Asie centrale par l’attraction pour les «mers chaudes», etc. Toutefois, dès lors qu’on postule que les actions politiques sont influencées voire déterminées par leur cadre géographique, il n’y a qu’un pas à franchir pour passer de la description à la prescription.
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Il n’est donc pas rare de voir les analystes géopolitiques ne pas se contenter d’expliquer la conduite des États, mais plutôt chercher à la leur prescrire en arguant du fait que la géographie imposerait à leurs dirigeants, qu’ils le veuillent ou non, d’adopter une politique plutôt qu’une autre. On est alors en politique étrangère dans une logique proche de ce que fut pour la politique économique le fameux TINA («There is no alternative») thatchérien. Le risque est dès lors grand d’en arriver à des arguments d’autorité qui, au nom de prétendus impératifs géographiques insurmontables et donc indiscutables, dénient aux peuples et à leurs dirigeants le droit de choisir et de mener librement la politique qu’ils souhaitent.
Vous expliquez qu’il n’y a jamais eu de consensus autour de cette discipline, contrairement à celle des relations internationales, discipline voisine aussi apparue dans l’entre-deux-guerres. Quelle est la différence entre les deux ?
Géopolitique et relations internationales sont en concurrence depuis leur apparition au lendemain de la Première Guerre mondiale. Elles constituent en effet deux réponses académiques contradictoires au désastre de 1914-1918. La première chaire de Relations internationales voit le jour en 1919 à l’université d’Aberystwyth, au Pays de Galles. Baptisée du nom du président Wilson, elle ambitionne d’étudier le comportement des États les uns envers les autres pour en tirer des enseignements propres à rationaliser le fonctionnement de la vie internationale et ainsi à éviter la répétition d’une guerre mondiale. La discipline se répand ensuite rapidement dans le monde anglophone, notamment aux États-Unis.
Originellement, les Relations internationales furent donc la science des vainqueurs de 1918 quand la géopolitique s’inscrivait dans une volonté de revanche des vaincus ou à tout le moins des déçus de 1918.
Florian Louis
La géopolitique se développe pour sa part en Allemagne au début des années 1920. Ancien officier devenu géographe, Karl Haushofer est son principal promoteur. Loin de chercher à préserver la paix de Versailles, ses travaux et ceux de ses disciples visent au contraire à en montrer, à grand renfort d’arguments d’autorité géographiques, le caractère selon lui inique et inadéquat. Originellement, les relations internationales furent donc la science des vainqueurs de 1918 quand la géopolitique s’inscrivait dans une volonté de revanche des vaincus ou à tout le moins des déçus de 1918 : ce n’est pas un hasard si, outre l’Allemagne, les deux principales écoles géopolitiques de l’entre-deux-guerres ont émergé en Italie et au Japon.
Les deux approches ne sont toutefois ni synonymes ni exclusives l’une de l’autre. Prise dans son sens strict d’étude des relations entre la géographie et le politique, la géopolitique ne peut prétendre concurrencer les relations internationales dont le champ d’étude est beaucoup plus vaste. Nombre de spécialistes des relations internationales acceptent d’ailleurs de prendre en compte le facteur géographique dans leurs analyses, mais tous insistent sur le fait qu’il ne saurait à lui seul rendre compte du fonctionnement complexe de la scène internationale. Le défaut de la géopolitique serait ainsi son exclusivisme : en prétendant expliquer la politique au seul prisme de la géographie, elle réduirait une réalité complexe à un unique facteur et produirait donc des analyses d’autant plus susceptibles d’être partiales qu’elles sont partielles, exactement comme le marxisme qui réduit lui aussi l’analyse du politique à un unique facteur, économique en l’occurrence.
La géopolitique est-elle une science ?
La géopolitique se veut une science précisément en ce qu’elle prétend expliquer la conduite des acteurs internationaux par le recours à une analyse rationnelle des facteurs géographiques qui la détermineraient et en excluant les facteurs selon elle irrationnels et secondaires que seraient les idéologies. Mais elle peut ce faisant tomber dans un biais qui lui fait négliger l’influence bien réelle des idéaux, fussent-ils irrationnels, sur la conduite des individus. C’est précisément pour sortir de ce biais que le géographe français Yves Lacoste a refondé la géopolitique à partir des années 1980. En accordant une place centrale aux rôles des représentations dans l’action politique, il montre qu’on ne peut comprendre et a fortiori résoudre un conflit si l’on se borne à en analyser le cadre géographique matériel comme le fait la géopolitique classique. Car celui-ci n’a souvent que peu à voir avec la conception que s’en font les belligérants.
La géopolitique a pu servir au fil des ans à justifier comme à contester tout et son contraire. C’est particulièrement vrai aux États-Unis.
Florian Louis
Ainsi, on aurait bien du mal à rendre compte de la nature du conflit israélo-palestinien si on ne s’intéresse qu’à la configuration géographique du territoire disputé par les belligérants, car ce ne sont ni sa configuration ni les richesses matérielles dont il recèle qui peuvent expliquer pourquoi ils se le disputent si âprement. Seule la prise en compte des représentations qu’ils s’en font, des multiples charges symboliques dont il est porteur, peut permettre de comprendre leurs motivations. Ce n’est donc pas tant la géographie matérielle que la géographie imaginaire de la Palestine qu’il convient de prendre en compte pour saisir la complexité du conflit dont elle est le théâtre.
Vous décrivez le développement de la géopolitique en Amérique. Cette discipline va-t-elle à l’encontre de la tradition messianiste et exceptionnaliste des États-Unis ? Que dit-elle aujourd’hui sur le dilemme historique des États-Unis, entre isolement et intervention ?
La géopolitique a pu servir au fil des ans à justifier comme à contester tout et son contraire. C’est particulièrement vrai aux États-Unis où d’aucuns ont cru voir dans la géographie de ce pays aux dimensions d’un continent la preuve de son exceptionnalité, de son élection divine et de sa présumée mission à éclairer et régenter le monde. La notion de «destinée manifeste», qui désigne au XIXe siècle la vocation qu’aurait le peuple américain, tel un «nouveau peuple élu», à s’étendre depuis son foyer atlantique jusqu’à la côte pacifique pour pouvoir pleinement prospérer a d’ailleurs parfois été comparée à la doctrine géopolitique allemande du «Lebensraum», cet «espace vital» dont aurait eu besoin le peuple allemand, à l’étroit dans ses frontières de 1918, pour s’épanouir. La géographie des États-Unis a également souvent servi à justifier les politiques isolationnistes avec l’idée que le pays étant pour ainsi dire une île, protégée par deux immenses «douves» océaniques du reste du monde, il pouvait et devait se tenir à l’écart des soubresauts agitant la lointaine Eurasie.
Mais d’autres analystes, par exemple Nicholas Spykman à l’orée de la Seconde Guerre mondiale, ont au contraire milité contre l’isolationnisme également à partir d’un argumentaire géographique. Pour eux, le potentiel de puissance humaine et matérielle dont recelait l’immense «île mondiale» eurasitique est tel que les États-Unis ne peuvent s’en désintéresser car l’émergence d’une puissance hégémonique en Eurasie signifierait une marginalisation irréversible pour les États-Unis qui ne sauraient trouver sur le seul continent américain suffisamment de ressources pour lui faire face. Les États-Unis devraient donc se mêler de ce qui se passe en dehors du continent américain, non tant pour y imposer leur domination que pour veiller à ce que n’y émerge pas une puissance cyclopéenne qui pourrait remettre en cause leur prospérité.
pline se veut donc normative et prescriptive. La géopolitique, quant à elle, naît en Allemagne dans les années 1920 et se veut une science explicative de la conduite des États par leur géographie. Elle cherche à comprendre les motivations des acteurs internationaux en analysant les contraintes géographiques auxquelles ils sont confrontés. La différence fondamentale entre les deux disciplines réside donc dans leur objectif : les relations internationales visent à proposer des solutions pour améliorer les relations entre les États, tandis que la géopolitique cherche à expliquer les comportements des États en fonction de leur environnement géographique.
Quel est l’apport de la géopolitique dans l’analyse des relations internationales ?
L’apport de la géopolitique dans l’analyse des relations internationales réside dans sa capacité à mettre en évidence les contraintes géographiques qui influencent les décisions des acteurs internationaux. En prenant en compte les aspects géographiques tels que les frontières, les ressources naturelles, les voies de communication, etc., la géopolitique permet de mieux comprendre les enjeux et les motivations des États. Elle offre ainsi une perspective complémentaire à celle des relations internationales, qui se concentre davantage sur les aspects politiques, économiques et sociaux des interactions entre les États. En combinant les approches géopolitiques et internationales, il est possible d’obtenir une vision plus complète et nuancée des dynamiques internationales.
Comment la géopolitique a-t-elle évolué aux États-Unis ?
La géopolitique a connu une évolution particulière aux États-Unis. Initialement, elle était peu développée dans le pays, en raison de la prédominance des relations internationales et de l’approche politique traditionnelle. Cependant, à partir des années 1940, avec l’émergence des États-Unis en tant que superpuissance mondiale, la géopolitique a gagné en importance. Elle a été utilisée pour justifier les politiques étrangères américaines, notamment pendant la guerre froide. La géopolitique a également été influencée par les travaux de géographes américains tels que Alfred Thayer Mahan et Halford Mackinder, qui ont mis en avant l’importance du contrôle des mers et des espaces terrestres pour la puissance mondiale. Aujourd’hui, la géopolitique est largement enseignée et étudiée aux États-Unis, et elle continue d’influencer les décisions politiques et stratégiques du pays.
Quels sont les enjeux actuels de la géopolitique en Amérique ?
Les enjeux actuels de la géopolitique en Amérique sont multiples. Tout d’abord, la rivalité entre les États-Unis et la Chine est un sujet majeur de préoccupation géopolitique. Les deux pays se disputent l’influence et la domination dans de nombreux domaines, tels que l’économie, la technologie, la sécurité, etc. Cette rivalité a des répercussions mondiales et façonne les relations internationales contemporaines. Ensuite, la question des ressources naturelles et de l